Discours de Bernard Cazeneuve au congrès FNSPF
De gauche à droite : Yann-aël Moysan, Jean-Michel Piedallu, Bernard Cazeneuve (Ministre de l’intérieur), Pierrick Janvier, Marc Grimaldi.
Je m’étais laissé dire que l’on n’était pas vraiment ministre de l’Intérieur tant que l’on n’avait pas participé à votre congrès. Celui-ci a lieu six mois après ma prise de fonction, et je me suis longtemps demandé, jusqu’à aujourd’hui, pourquoi cette grande manifestation était considérée comme un baptême pour l’hôte de la place Beauvau. Je ne parlerai pas de « baptême du feu », bien sûr, car l’accueil est chaleureux et très sympathique, mais c’est bien un baptême dont il s’agit. Du moins est-ce ainsi que je l’ai vécu. Après avoir passé deux journées avec vous, et même si, en raison des contraintes propres à ma fonction, j’ai dû rentrer à Paris hier après-midi, je comprends mieux désormais le sens de la métaphore.
Il faut en effet une santé de fer pour cheminer parmi les stands ! S’il existe bien chez les sapeurs-pompiers une culture très ancrée – j’y reviendrai tout à l’heure – du service public, de la solidarité, du don de soi et de la générosité, ils partagent aussi une solide culture de la convivialité, dont la Sainte-Barbe est un très bon exemple, comme j’avais déjà pu moi-même m’en rendre compte lorsque j’étais président de la communauté urbaine de Cherbourg. Aujourd’hui, à l’occasion de chacune des petites haltes gastronomiques que je viens de faire, j’ai pu à nouveau vérifier que cet esprit de convivialité, ce sens de l’accueil étaient bien vivants parmi vous.
Il est vrai que, de ce point de vue, notre pays offre bien des trésors. La région qui nous accueille aujourd’hui ne manque pas d’atouts, c’est le moins qu’on puisse dire. En premier lieu, je souhaite donc remercier les organisateurs représentants du Vaucluse qui ont su faire de ce 121e congrès le grand moment qu’il a été. J’ai cru comprendre que la région qui accueillera le congrès, l’année prochaine, ne manquait pas non plus de quelques produits d’attrait, si bien que, nourri par l’expérience, je me demande si une journée ou deux – et c’était déjà exceptionnel ! – seront suffisantes ! Je me pose la question, parce qu’en m’arrêtant un peu plus longtemps qu’il n’était prévu au stand d’Agen, je me suis dit que peut-être quatre jours allaient être nécessaires : deux pour déguster, le troisième pour récupérer et le dernier pour vous parler ! Je n’exclus donc rien : il n’est pas impossible que l’an prochain nous passions encore plus de temps ensemble.
Plus sérieusement – car beaucoup de sujets ont été évoqués depuis hier et encore à l’instant par votre président –, nous allons devoir, dans les mois qui viennent, répondre à plusieurs questions importantes, stratégiques même, concernant le métier de sapeur- pompier. Sur ces questions, je veux aujourd’hui vous dire un certain nombre de choses précises qui m’engagent. Pour un ministre, ce qui compte, c’est moins de participer au congrès que de pouvoir y revenir, si les circonstances lui ont permis de rester à son poste en ayant tenu ses engagements.
Pour avoir été précédemment ministre du Budget, je connais les contraintes budgétaires qui pèsent sur notre pays : le redressement des comptes publics est un chemin semé d’embûches. Je connais aussi votre culture, votre exigence : vous ne vous payez pas de mots. Je pourrais me contenter de tenir devant vous des propos aimables, qui pourraient même prendre la forme de la démagogie, puis revenir l’année prochaine sans avoir tenu la moindre promesse ni respecté le moindre engagement. Ce n’est pas ce que je vais faire.
Par respect pour vous et pour ce que vous incarnez, et parce que telle est mon éthique de l’action publique, je veux, sur chacun des sujets que j’évoquerai devant vous aujourd’hui, être en mesure, lorsque je reviendrai, de vous rendre des comptes. Les enjeux auxquels vous êtes confrontés nous obligent à la vérité. C’est ainsi que nous créerons les conditions durables d’une confiance partagée. La période l’exige, le sens de l’Etat nous le dicte.
Je voudrais vous exprimer du fond du cœur ce que j’ai ressenti depuis six mois à la tête du ministère de l’Intérieur, à chaque fois que nous nous sommes rencontrés. Parfois sur le théâtre d’événements tragiques qui brisaient des vies, qui faisaient basculer des existences. Je pense aux événements récents de Montpellier, au drame de Lamalou-les- Bains, il y a une quinzaine de jours, où quatre Français ont perdu la vie. Je me suis moi- même rendu, il y a peu, dans l’agglomération où des pluies diluviennes s’étaient abattues, mobilisant près de 1 500 femmes et hommes, issus pour la plupart de vos rangs, aux côtés des forces de sécurité et des militaires de la Sécurité civile que j’avais souhaité dépêcher avec les moyens héliportés nécessaires. J’ai également assisté à votre intervention, après un terrible accident – qui m’a profondément marqué – dans l’Aube. Un minibus abritant cinq enfants avait percuté un poids lourd… Ce jour-là, j’ai vu des sapeurs-pompiers émus aux larmes. Des sapeurs- pompiers qui pendant des heures se sont battus, avec une énergie hors du commun, l’énergie de la vie quand elle tente de sauver d’autres vies. Des sapeurs-pompiers bouleversés quand ils ont dû finalement constater la mort de ces enfants.
Je sais que vous avez également participé à la lutte contre le chikungunya aux Antilles, à celle qu’il a fallu mener contre les tempêtes et les cyclones, contre les ravages causés à la Réunion. Je vous ai vus à Rosny, mobilisés deux jours durant, sans vous préoccuper de la fatigue qui parfois vous gagnait, pour secourir ceux qui étaient enfouis sous les décombres. Pour tout ce que vous faites, sans économiser votre temps ni votre énergie, pour votre engagement sans relâche au service des autres, sachez que vous avez toute ma gratitude, toute ma reconnaissance et mon immense respect. Cette gratitude et ce respect ne sont pas seulement ceux du ministre de l’Intérieur – c’est la gratitude et le respect de tout un pays, la gratitude et le respect des Français eux-mêmes, qui savent ce qu’ils vous doivent lorsque leur sécurité est en cause et que vous intervenez pour leur porter secours.
Je voulais aussi vous dire à quel point j’ai été impressionné, depuis que je suis ministre de l’Intérieur, par la puissante solidarité qui vous lie, comme en témoignent les actions que mènent au quotidien vos organisations. Avant d’arriver à l’Hôtel de Beauvau, cette solidarité, je la devinais, certes, mais je n’en connaissais pas toutes les facettes, ni même l’intensité.
Je pense bien entendu à la Fédération, à ses 260 000 adhérents, ses 7 200 amicales, ses 98 unions départementales, et son président – votre président – que j’ai appris à connaître dans l’exercice de ses fonctions. Un homme droit, qui tient le même discours quels que soient ses interlocuteurs. Ce qu’il a dit devant vous tout à l’heure, il n’hésite pas non plus à me le dire dans mon bureau avec la même netteté, avec la même franchise. Comment, dès lors, lui répondre autrement ? Cette franchise qui caractérise nos échanges est aussi, Monsieur le Président, un signe fort de la confiance qui existe entre nous. Voilà un genre de dialogue que j’apprécie et respecte infiniment.
Je voudrais aussi adresser à Jean-Paul BACQUET, président du Conseil national des sapeurs-pompiers volontaires, mes remerciements pour son engagement. Je le connais bien, c’est un ami de très longue date – pas encore un ami de 30 ans, mais nous approchons de la date fatidique. Pour céder à un classique de la vie politique française, nous pourrions nous fâcher, mais nous ne nous fâcherons jamais parce que les liens qui nous unissent ont là aussi la force de l’authenticité.
Bien qu’il soit un vieil ami, dès lors qu’il s’agit des sapeurs-pompiers volontaires, il est sans concession avec le ministre de l’Intérieur. A vous comme à lui, nous devons beaucoup des avancées récentes, sur lesquelles je reviendrai tout à l’heure, pour répondre aux demandes légitimes – et qui doivent être satisfaites rapidement – des sapeurs-pompiers volontaires. Je voudrais également remercier Yves ROME, le président de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours, qui ne pouvait être aujourd’hui avec nous. L’échange que nous avons eu hier témoigne aussi, s’il en était besoin, de la très grande franchise qui préside à nos relations.
Mais aujourd’hui, c’est de vous, de votre culture et de vos valeurs, que je veux surtout parler. Aussi permettez-moi, avant d’aborder les sujets sur lesquels votre président m’a interpellé, d’avoir une pensée pour vos six camarades qui, depuis le congrès de Chambéry l’année dernière, ont perdu la vie dans l’exercice de leurs fonctions. Parmi ces six camarades, il y avait une jeune femme de 22 ans. L’indéfectible solidarité dont je parlais à l’instant, j’ai pu la constater lors de ces événements tragiques, comme j’ai pu aussi la mesurer tout à l’heure en découvrant les nombreuses actions associatives que vous menez pour organiser l’entraide, soutenir vos camarades blessés, soutenir les familles de vos camarades morts en service. Et lorsque, parmi les stands, j’ai discuté avec de jeunes orphelins qui s’étaient approchés de moi pour me dire à quel point vos actions leur avaient permis de reprendre pied, de se reconstruire puis de partager à leur tour votre culture en devenant eux-mêmes jeunes sapeurs-pompiers volontaires avec l’ambition de passer ensuite professionnels, je me suis dit qu’il y avait décidément une grande force en vous, qui devait à chaque instant vous porter. Ces rencontres, ces échanges m’ont profondément ému. Je pense aux disparus, aux familles de celles et ceux qui ne reviendront plus, aux endeuillés qui souffrent, à leur immense chagrin et à l’esprit de courage et d’engagement qu’ils continuent malgré tout de partager, cet admirable esprit de service public qui habite chacun d’entre vous à l’heure de partir en mission, et dont nous nous souvenons aujourd’hui.
Comme votre président, j’ai le souci de voir les sapeurs-pompiers de France porter haut les couleurs et les valeurs du service public. Voilà pourquoi je souhaite évoquer avec vous quelques-uns des sujets stratégiques auxquels nous allons être confrontés dans les semaines et les mois à venir, autant de défis qui impliquent notre mobilisation collective.
Nous parlions de Montpellier, de Lamalou-les-Bains, nous parlions du cyclone de la Réunion : les dérèglements climatiques nous obligent de plus en plus souvent à faire face à des intempéries de plus en plus graves. Les populations sont ainsi confrontées – et de plus en plus brutalement – à des drames de plus en plus sérieux. Nous devons donc adapter nos dispositifs d’alerte météo. De ce point de vue, à l’occasion des événements de Montpellier, toutes les recommandations nécessaires en matière de prévention ont pu être transmises en amont, si bien que toutes les administrations – y compris l’éducation nationale puisqu’il fallait garder les enfants dans les écoles – ont pu se mobiliser avec efficacité. Le préfet a ainsi donné aux maires, dans les meilleures conditions possibles, les instructions qu’ils devaient eux-mêmes répercuter auprès de leurs administrés afin que le principe de précaution puisse s’appliquer et protéger des vies. Nous avons été capables de mobiliser immédiatement nos services publics, les interventions ont permis d’éviter de nombreux drames. Tout à l’heure, je disais que 1 500 personnes étaient alors présentes sur le terrain ; j’ajoute que près de 4 000 citoyens ont été sauvés ou protégés, grâce à près de 1 200 interventions. Nous devons tous avoir à l’esprit que ces dérèglements climatiques seront à l’avenir des défis de plus en plus lourds pour vos services et notre ministère. Il nous faudra les surmonter en faisant preuve d’un sens accru de la précaution et de l’anticipation, y compris dans nos modes d’action et organisation.
Vous avez également évoqué le problème crucial des crises sanitaires. Celles-ci peuvent à tout moment nous frapper et donc requérir notre action, comme il y a quelques années avec la grippe aviaire qui nécessitait un certain nombre de précautions. Vous étiez là aussi en première ligne. Et puis, bien sûr, nous devons faire face à un risque terroriste important. Nous prenons toutes les précautions possibles, nous ne cessons d’anticiper. Une telle menace peut justifier que vous interveniez, comme vous l’avez déjà fait lorsque notre pays a été frappé par des attentats dans les années 80 et 90.
Ces enjeux sont bien présents à mon esprit. Ils sont multiples et protéiformes et, pour que nous soyons à la hauteur de chacun d’entre eux, ils nécessitent des organisations spécifiques. Mais, dans mon esprit, il n‘y a pas que cela : il y a aussi ce que dicte votre excellence. Je veux vous dire ma fierté lorsque nous sommes intervenus en Serbie, en Bosnie, lors des grandes inondations à l’occasion desquelles nos matériels et nos hommes ont été projetés pour aider ces pays à faire face à un véritable déluge. Je n’oublie pas non plus ce que vous avez fait en Suède, quand vous avez aidé nos amis Suédois à maîtriser le feu, alors qu’ils étaient confrontés à une sécheresse exceptionnelle qui ravageait des hectares et des hectares de forêts. La lettre que j’ai reçue de mon homologue suédois en disait long sur la manière dont vous aviez été accueillis et sur le courage et l’efficacité dont vous aviez fait preuve. Je pourrais évoquer également ce qui s’est passé en Grèce. Parce que vous incarnez l’excellence, parce qu’on reconnaît en vous le service le plus performant, ou parmi les plus performants d’Europe, vous êtes et vous serez de plus en plus sollicités sur d’autres théâtres d’opération que les nôtres.
Voilà les défis. Face à ces défis, il faut des réponses, en termes d’organisation, de gestion des ressources humaines, et de préservation de notre modèle français de secours d’urgence aux personnes. Bref, il faut que, sur tous ces sujets – auxquels j’ajoute celui de la prévention –, nous sachions apporter des réponses efficaces. C’est ce que je veux faire devant vous.
En ce qui concerne l’organisation, et notamment l’organisation territoriale, le débat s’est esquissé hier. J’ai moi-même reçu beaucoup d’organisations syndicales, je me suis entretenu à maintes reprises avec votre président. Il y a des interrogations, il y a des inquiétudes, parfois même il y a des angoisses, on craint que la réforme territoriale ne remette en cause le modèle français de sécurité et de secours. Je tiens ici à redire très clairement ce que j’ai dit hier avec précision et clarté. Cette réforme territoriale ne vient pas de nulle part, elle a sa cohérence propre. Il s’agit d’abord de faire émerger des métropoles puissantes capables, à l’instar des grandes villes européennes, d’investir dans la culture, le sport, les transports de demain, l’économie et le développement numérique, mais aussi dans la transition énergétique. Elles doivent pouvoir accompagner leur filière économique d’excellence, qu’il s’agisse de l’industrie ou des services, et investir aussi dans les grands services publics, notamment ceux qui font de la prévention, de la sécurité civile, du secours aux personnes.
Autrement dit, les services publics du ministère de l’Intérieur, c’est-à-dire vous. La loi MAPTAM permettra de faire naître ces grandes métropoles. Grâce à cette réforme, nous allons créer de grandes régions de dimension européenne, à partir de régions qui ont déjà appris à travailler ensemble à travers les pôles de compétitivité interrégionaux, et qui portent des filières d’excellence de dimension mondiale dans de multiples domaines. J’en ai moi-même fait l’expérience dans ma propre région, en Normandie. Ces régions, moins nombreuses, représentent d’ailleurs pour nous un défi en matière de sécurité civile – celui de l’articulation de leur périmètre avec celui des zones. C’est là un enjeu fondamental, si l’on veut garantir une bonne coordination des secours et des services.
Nous voulons aussi, avec la loi notre, clarifier les compétences de chacun afin d’éviter les superpositions et les enchevêtrements qui font des doublons et coûtent cher là où, au contraire, nous avons besoin de marges de manœuvre pour investir dans les services publics. Enfin, il y a la volonté qui est la mienne, à la demande du président de la République et du Premier ministre, de réussir la réforme territoriale de l’Etat, c’est-à- dire de réorganiser et de faire monter en gamme les services de l’Etat au niveau départemental, mais aussi de faire en sorte qu’au niveau régional, nous puissions bénéficier de services publics puissants, dans le domaine de l’aménagement du territoire, de l‘économie ou des plateformes mutualisés de services.
La première chose que je veux vous dire, c’est qu’il n’est pas question, en ce qui concerne le fonctionnement de vos services, de remettre en cause la structure départementale. Certains ont pu laisser croire que la suppression possible des conseils généraux en 2020 remettrait en cause le département comme structure d’organisation des services d’incendie et de secours. Ce ne sera pas le cas, parce que même si les conseils départementaux venaient à disparaitre, les départements en tant que structures administratives de l’Etat continueraient d’exister, alors même qu’ils ont vocation à devenir le lieu à partir duquel l’on organisera la déconcentration et l’interministérialisation de la fonction des préfets.
Se pose alors une autre question : comment faire pour assurer le financement de services d’incendie et de secours dès lors que les conseils départementaux pourraient venir à disparaître dans les zones urbaines comme dans les zones moins urbaines où l’intercommunalité aura monté en puissance ?
Je veux là aussi apporter une réponse précise et chiffrée : je refuse cette rhétorique de la peur, dans un pays qui a tendance à considérer que « réforme » et « recul » sont synonymes, alors que toutes les garanties peuvent être données. Le budget global est de 4,8 milliards d’euros; sur ces 4,8 milliards, les conseils généraux affirment en représenter 53%, le reste étant assuré par les intercommunalités et les communes. Mais sur les 53% que représentent les conseils généraux – qui ont pris leurs responsabilités et que je veux remercier pour le travail qu’ils ont fait – il y a un milliard qui émane de ce que l’on appelle la TSCA, la Taxe Spéciale sur les Contrats d’Assurance, un milliard à partir de la loi de finance de 2005, article 53 très exactement. On a décidé de flécher cette taxe pour les services incendie. Ce n’est pas une dotation laissée à la discrétion des départements : non, la deuxième tranche de la TSCA allouée par l’Etat aux conseils généraux est faite pour assurer le financement de vos services.
Par conséquent, les conseils généraux représentent 30% du financement, Monsieur le Président; l’Etat représente 25% et le reste est assuré par les communes et les intercommunalités. Ce qui signifie que même si nous devions remettre en cause les conseils départementaux, nous ne remettrions en question aucun des financements, compte tenu de ce qu’est la structure que je viens de rappeler. Ce qui veut dire aussi que c’est à l’Etat d’y veiller, et que j’ai bien l’intention d’en être le garant. L’Etat doit pouvoir dire son mot, non pas de façon hégémonique ou unilatérale, non pas pour imposer ni contraindre, mais bien pour participer à la définition des missions qui vous incombent. En tant que ministre de l’Intérieur, j’ai bien l’intention que l’État assume ses responsabilités !
Pourquoi est-ce très important ? Je tiens à ce que l’Etat intervienne parce qu’il doit être le garant de la sécurité sur l’ensemble du territoire national, parce que la République est une et indivisible et que, bien que nous soyons dans une République décentralisée, nous ne sommes pas dans une République féodale. L’Etat doit aussi être le garant de l’égalité des citoyens devant la loi et devant l’accès aux services publics. On me dit que l’égalité n’est pas l’uniformité ; certes, les besoins ne sont pas de même nature selon les territoires, selon leurs spécificités et la part de risque qu’ils supportent.
Je comprends très bien que dans le département de la Manche, où il y a une centrale nucléaire, des sous-marins nucléaires en cœur de ville, plusieurs entités de retraitement 9 nucléaire et un centre de stockage, les dangers ne soient pas de même nature que dans le Cantal, où le préfet VIGNON assume désormais ses fonctions avec l’expérience qu’il a de vos missions – j’en profite d’ailleurs pour le saluer et le féliciter pour sa nomination récente pour laquelle je ne suis pas pour rien ! Un grand pompier peut faire un excellent préfet, puisque les deux fonctions ont en commun le sens de l’Etat. Je forme donc des vœux pour vous, monsieur le préfet VIGNON.
Oui, je crois en l’Etat pour garantir l’égalité, mais aussi parce que compte tenu des grands enjeux que j’ai énumérés à l’instant, qu’il s’agisse du dérèglement climatique, des risques terroristes, de la nécessité de faire face à un certain nombre de défis sanitaires, j’estime que c’est à la Direction générale de la Sécurité civile et de la Gestion de Crise (DGSCGC), en dialogue étroit avec les présidents de SDIS, de définir les moyens d’anticipation, d’organisation et d’adaptation de nos services. J’entends que ce soit notre Direction générale qui intervienne chaque fois que nous sommes appelés à être projetés sur d’autres théâtres d’opération au-delà de nos frontières ; c’est aussi à la Direction générale, en liaison avec l’ensemble des structures, de définir les conditions dans lesquelles nous pouvons intervenir avec succès. Donc, oui, je veux une Direction générale de la Sécurité civile et de la Gestion de Crise qui soit un véritable centre global de décision, un lieu de définition d’orientation stratégique, une direction générale qui pense nos missions en anticipant constamment, qui soit une structure de mobilisation de toutes les forces sur le territoire pour que le service public porte haut ses valeurs. Alors, vous me direz : tout cela est bien, mais il faut aussi que nous puissions avoir des carrières, des personnels de direction qui puissent cheminer dans l’administration et exercer des responsabilités managériales en ayant le souci des hommes sur le terrain. Je sais que des réflexions sont en cours, vous les avez évoquées, Monsieur le Président, avec encore une fois beaucoup de netteté et de franchise – je pense aux emplois de direction. Je vous ai dit ce que j’en pansais. L’ENSOSP est une grande école, que j’ai visitée, à Aix-en-Provence, il y a quelques semaines. J’y ai vu là aussi ce dont nous sommes capables en matière d’enseignement, de formation et d’excellence.
Et bien, je souhaite que nous engagions une réflexion collective pour évaluer les conditions dans lesquelles nous pouvons utiliser cet outil ambitieux et performant, de manière à pouvoir être capable, là aussi, d’organiser nos services en leur offrant les 10 meilleurs dirigeants possibles, pour que dans la durée nous puissions assurer la montée en gamme de nos services d’incendie et de secours d’urgence à la personne. Voilà ce que je voulais vous dire sur le rôle de l’Etat, sur l’ambition qui est la mienne de le voir assumer ses responsabilités, non pas en recentralisant ni en confisquant des pouvoirs, ni même en imposant ses vues, mais tout simplement en créant les conditions de l’action qui lui incombe.
Sur les autres sujets que vous avez abordés, Monsieur le Président, je n’ai pas non plus l’intention de me dérober de quelque manière que ce soit. Je pense d’abord à l’organisation des secours d’urgence à la personne. Comme vous, je me réjouis que Monsieur PELLOUX, les urgentistes, le SAMU soient venus ici pour dialoguer avec vous. Là aussi, je veux vous dire les choses nettement. Lorsque j’ai vu, quelques semaines après mon arrivée à l’Intérieur, que l’on se proposait, de façon unilatérale et sans que des discussions n’aient eu lieu préalablement, d’organiser des secours d’urgence à la personne en vous cantonnant aux marges des interventions, comme si votre rôle était secondaire, je suis immédiatement intervenu. Je ferai tout pour que cette vision des choses ne puisse pas prévaloir. Vous êtes en effet des acteurs majeurs du secours d’urgence à la personne, et je prends devant vous l’engagement de me battre pour que votre rôle soit respecté à sa juste mesure. Vous êtes la pierre angulaire du dispositif, avec vos collègues avec lesquels vous devez vous entendre, bien sûr, et articuler vos missions, mais il n’y a pas de raison que vous cédiez sur vos missions. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie ? Je rappelle qu’aux yeux du Gouvernement, la solidarité et l’interministérialité doivent être privilégiées chaque fois que cela est possible et nécessaire, précisément pour que les réponses apportées à vos questions soient justes et efficaces.
Premier point : un dispositif interministériel a été engagé à la demande du Premier ministre après que je l’ai saisi de ce sujet suite aux déclarations qui avaient été faites. Un comité de suivi du référentiel a été mis en place. Il doit faire son travail, et veiller à ce que chacun ait sa place. Il doit aider à éviter les querelles, les compétitions inutiles.
Dans un contexte budgétaire où l’argent public est rare, où le sens de l’Etat doit prévaloir, il ne peut y avoir de place pour ce type de confrontation. Il n’y a qu’un seul service public, qui articule ses efforts pour faire en sorte que le meilleur service soit 11 rendu à ceux qui en ont besoin. C’est l’objectif de l’optimisation des moyens : empêcher que le contribuable ne soit obligé de financer des doublons. C’est la raison pour laquelle, concernant les hélicoptères, j’ai attiré l’attention du Premier ministre sur la nécessité là aussi d’aller au bout de la réflexion. Nous, nous avons fait des efforts – je suis d’ailleurs allé à Marignane, puis à Garons cet été pour évaluer les conditions dans lesquelles nous organisions la maintenance et dégagions des marges de manœuvre d’économie. J’ai pu constater que nous avions rempli notre part de l’effort collectif. Les autres ministères doivent donc le faire aussi : chacun ne peut décider de son propre chef ce qu’il va faire demain sans se poser la question de l’optimisation de l’allocation de l’argent public et son adaptation aux objectifs que nous voulons atteindre. Par conséquent, au sujet du secours d’urgence aux personnes et des modalités d’intervention sur le terrain lorsqu’il y a des difficultés, ou encore concernant la gestion des moyens héliportés, je veux vous assurer de ma plus grande attention, de ma grande vigilance et de ma ferme volonté de faire en sorte que les dispositifs échéances qui ont été arrêtées avec des échéances – le 5 novembre pour le comité de suivi du référentiel, le 3 décembre pour les moyens héliportés –, soient menés à leur terme tenues. Nous devons être exigeants, efficaces et précis. C’est ainsi que ce que nous disons, votre président et moi-même, sera effectivement mis en œuvre.
Pour ce qui concerne les secours en montagne, j’ai entendu les propos du président, il n’y est pas allé par quatre chemins. Il me dit : tout dépend de vous, donc il ne tient qu’à vous que les choses fonctionnent autrement. J’ai réuni les préfets jeudi après-midi comme je le fais régulièrement, et je leur ai dit qu’il n’était pas tolérable que les services d’une même maison, dès lors qu’il s’agit des secours en montagne, interviennent simultanément, parfois dans des conditions de brutalité à l’égard de ceux qui sont intervenus en premiers secours, créant de la confusion, de la tension et parfois même, vous l’avez dit, Monsieur le Président, de l’humiliation. Quand ces tensions apparaissent, il y a trois directeurs généraux qui doivent rendre compte au ministre, ainsi qu’un comité d’appui qui peut se réunir ; j’ai également demandé aux préfets de veiller à ce que, dans leurs départements respectifs, des consignes très strictes soient données pour que cela ne se reproduise pas.
Enfin, j’ai demandé à ce que l’on me tienne au courant de tous les dysfonctionnements qui peuvent apparaître une fois l’instruction émise. Evaluer les conditions dans lesquelles les instructions sont appliquées sur le terrain me semble en effet une impérieuse nécessité ; et si elles ne le sont pas complètement, nous devrons étudier de près, avec les préfets, les meilleures façons d’améliorer les choses. C’est un autre engagement que je prends devant vous.
J’ai parlé des missions et de l’organisation, je voudrais maintenant parler des ressources humaines. Votre président me dit : « les 25 engagements de Chambéry doivent être tenus ». Et le Président BACQUET va dans le même sens. 25 engagements qui concernent des sujets très différents ont été pris, 30 textes réglementaires ont été rédigés depuis le congrès de Chambéry, qui visent pour chacun d’entre eux à mettre en œuvre une grande partie des orientations définies par ce congrès. Tout n’est certes pas encore réglé, permettez-moi de prendre quelques exemples.
D’abord, le logement. Vous ne m’entendrez jamais, Monsieur le Président FAURE, dire que « le problème est trop compliqué et par conséquent, l’absence de solutions sera la solution ». Jamais ! J’étais à Galons dans les Hautes-Pyrénées, où la question du logement était évoquée. Nous avons une obligation de résultats, parce que, lorsque l’on s’engage comme sapeur-pompier volontaire, avec la dimension de service public de cet engagement, il doit y avoir des contreparties. Créer les conditions d’un meilleur logement pour les sapeurs-pompiers volontaires, même si des obstacles réglementaires existent, cela suppose, en amont, un traitement interministériel desdits obstacles pour qu’ils puissent être surmontés. Par ailleurs, le rôle de l’interministérialité est aussi de rendre possible la mobilisation de tous les acteurs concernés. Je souhaite à cet égard qu’une convention soit proposée par mon ministère aux grands acteurs du logement social et aux grandes associations d’élus, dans le cadre du développement du plan pour le volontariat, afin que tous les obstacles soient levés et que la mobilisation générale soit décrétée, afin que je puisse revenir devant vous l’année prochaine, non pas pour vous dire que « tout est réglé » (ce serait trop beau !), mais qu’« un pas significatif a déjà été franchi, correspondant aux demandes que vous m’aviez adressées.» Je m’engage devant vous à travailler sur cette question d’ici le congrès d’Agen, et à informer régulièrement votre président des actions engagées pour que lui-même puisse vous tenir au courant.
Le deuxième sujet concerne la prise en compte par les entreprises, de la nécessaire disponibilité qu’implique le volontariat. Des accords importants ont d’ores et déjà été signés avec AREVA, la SNCF et la RATP, qui permettent de donner du temps à ceux qui s’engagent. Je rencontrerai les grandes organisations représentatives de l’entreprise et des services publics pour faire en sorte que nous puissions généraliser ces accords dans le cadre du plan du développement du volontariat.
Vous avez évoqué un troisième sujet – central –, celui de l’application de la directive « temps de travail » et du risque que peut représenter, pour le modèle français auquel nous sommes attachés, une application trop stricte de cette directive. Nous menons un combat au sein de l’Union européenne. Vous étiez d’ailleurs présents dans les instances européennes, Monsieur le Président, pour livrer ce combat à nos côtés et faire en sorte que nous puissions préserver la spécificité du volontariat en France. Une application trop rigide de directives par ailleurs légitimes et qui doivent être respectées par la France ne doit pas venir remettre en cause notre modèle. De nombreux pays européens nous soutiennent et nous ont d’ailleurs déjà rejoints pour que nous puissions obtenir satisfaction. Je crois que, dans la famille du nouveau président de la Commission européenne, il y a des sapeurs-pompiers volontaires, ce qui peut peut-être nous aider à faire partager nos préoccupations et notre culture au niveau européen.
La question de la clause de revoyure et des emplois de direction, qui concerne les sapeurs-pompiers professionnels, a également été évoquée. Sur les emplois de direction, je me suis exprimé, je n’y reviendrai pas. Sur la clause de revoyure, je veux, Monsieur le Président, vous redire ce que j’ai dit à maintes et maintes reprises. Un dispositif a été mis en place il y a deux ans. Je pourrais devant vous, par démagogie, vous dire que la clause de revoyure est destinée à tout remettre à plat afin d’aller encore plus loin dans ce qui a déjà été acquis. Si je le disais, je vous mentirais. Et ce n’est pas ce que vous attendez de moi. Ce que vous me demandez, c’est que la clause de revoyure permette de procéder à des ajustements par rapport à ce qui a déjà été obtenu – des ajustements qui permettent de stabiliser définitivement l’édifice. Cependant, ces différents points d’ajustement impliquent des réunions et des processus interministériels. Nous ne sommes pas seuls. Comme je l’ai dit, dans le contexte actuel, nous avons une responsabilité de redressement de nos comptes. Là aussi, je tiendrai votre président informé des différentes étapes à venir. Enfin, il y a un dernier point sur lequel je voudrais insister. Je ne reviendrai pas sur la santé au travail. Le président l’a dit, c’est évidemment une préoccupation forte pour nous tous. Je veux surtout parler des agressions intolérables dont vous êtes victimes. L’année dernière, 1569 pompiers ont été agressés, alors qu’ils intervenaient pour sauver des vies ou éviter des drames. C’est 335 de plus que l’année précédente. J’ai 14 indiqué que je souhaitais qu’une plainte soit systématiquement déposée lorsque de tels actes sont commis. Le taux de plainte est de 77% : c’est loin d’être négligeable, mais nous devons atteindre un taux de plainte qui représente la totalité des actes inadmissibles dont vous êtes les victimes. J’invite également chaque SDIS à signer des conventions avec les forces de police et de gendarmerie, qui interviennent pour vous soutenir et vous protéger, et peuvent assurer avec vous le bon déroulement des opérations dans lesquelles vous êtes engagés.
Je voudrais conclure, Mesdames et Messieurs, en évoquant quelques derniers points, évoqués par votre Président. D’abord la nécessité de faire monter en puissance la campagne que nous avons engagée sur le volontariat : « sapeur-pompier + volontaire = moi aussi. » C’est une campagne très importante pour atteindre l’objectif de 200 000 volontaires, fixé par le président de la République à Chambéry. Cette campagne implique la mobilisation de tous les SDIS, et donc celle de votre ministre. Elle implique également une mobilisation interministérielle très forte. Je souhaite, à la faveur de tous mes déplacements en province et quel que soit leur thème, promouvoir cette initiative aux côtés des présidents et des responsables des SDIS, dans les écoles, auprès des associations de jeunes.
Deuxième point, je crois qu’il est important, comme vous l’avez souligné, de continuer à défendre les grandes politiques de prévention, qu’il s’agisse des incendies dans les établissements qui accueillent du public ou bien dans les immeubles à grande hauteur. Vous avez évoqué la nécessité, conformément à la loi, d’équiper nos maisons en détecteurs d’incendie. Notre ministère insiste aussi pour que la loi qui a déjà été adoptée soit mise en œuvre dans des conditions qui respectent les calendriers.
Enfin, je voudrais insister sur la nécessité de nous protéger contre tous les accidents domestiques. Il y a là un travail d’éducation très important à faire auprès de nos concitoyens. Près de 20 000 personnes sont victimes chaque année de tels accidents ; plusieurs dizaines de milliers d’interventions sont nécessaires. Dans les écoles, de façon préventive, nous devons encourager la formation aux premiers secours, informer sur les bonnes pratiques. Je proposerai moi-même au ministre de l’éducation une action commune qui permette d’engager les actions nécessaires.
Mesdames et Messieurs, vous avez des interrogations, des espérances, des attentes. Votre esprit de service public, je le redis, force l’admiration et le respect de ceux qui vous dirigent et de ceux à qui vous portez secours avec le courage que l’on vous connaît, qui fait votre réputation et votre grandeur. Vous avez organisé tout un tissu associatif, des structures de solidarité qui témoignent d’une culture de l’entraide, de la générosité, de l’attention portée à autrui dont notre République a grand besoin tant, malheureusement, les égotismes et les égoïsmes sont grands. Vous incarnez aussi par votre rectitude, votre rigueur, votre éthique, des repères dont la République a grand besoin quand de petites et grandes haines rongent la République de l’intérieur. On a besoin des sapeurs-pompiers de France, non seulement pour sauver des vies, mais aussi pour incarner les valeurs de la République. Parce qu’elle est un peu de votre culture, un peu de votre âme, un peu de vos valeurs, la République compte sur vous !
Vive la République et vive la France !